Maqtal Šahrazāde (Le meurtre de Shéhérazade) de Maysūn Ḥannā
Maysūn Ḥannā, dramaturge jordanienne et médecin de formation, fait appel à deux personnages des Mille et une nuits : Sindbād, et Shéhérazade qui donne son nom à la pièce de théâtre Maqtal Šahrazāde (Le meurtre de Shéhérazade) . Ce texte est éminemment politique. Maysūn Ḥannā y dénonce, sans la nommer, la guerre du Golfe déclenchée en août 1990 par l’Irak contre le Koweït et soutenue par une coalition de trente-cinq États dirigés par les États-Unis.
Sept tableaux, que l’autrice appelle en arabe « lawḥa », composent le texte.
La présence de la conteuse se limite au « madẖal » (prélude) et à la « ḥatima » (fin) en tant que simple voix narratrice. Le recours de Maysūn Ḥannā à Shéhérazade est doublement symbolique. D’abord, elle y est convoquée par la violence (point important pour ma réflexion et le déroulé de ma démonstration), celle de la guerre mais aussi celle des personnages de la pièce. Le silence final et inattendu provoque en effet la furie et le passage à l’acte des auditeurs insatisfaits de la fin en suspens. Ensuite, le racontable s’avère un sujet délicat dans cette région du monde. Il s’agit de l’incurie des politiques et l’étouffement, par la brutalité, de la voix des peuples. Par ailleurs, le mutisme et le sommeil de la conteuse à un moment culminant du récit peut être interprété comme un appel à l’éveil et à l’introspection ; une technique démocratisée par « masraḥ al-tasyīs » (le théâtre de l’éveil politique) notamment avec les travaux du dramaturge syrien Saʿdallah Wannūs. Cependant, la fin sanglante de la conteuse peut aussi opérer comme un moyen de contrer la censure.
Si dans le texte, Shéhérazade meurt poignardée par un auditeur mécontent, lors de l’entretien que j’ai eu l’honneur de réaliser avec l’autrice, elle attire mon attention sur le fait que cette mort n’en est pas moins symbolique et qu’elle situe le personnage de la conteuse plutôt entre la vie et la mort (on adore !)
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nessrine Naccach (17 février 2025). Maqtal Šahrazāde (Le meurtre de Shéhérazade) de Maysūn Ḥannā. Histoires de(s) femmes. Consulté le 30 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bv2